Entretien d’embauche : un jeu de dupes ?

entretien-Guillaume DURIS-Fotolia

Une offre d’emploi paraît, vous envoyez une candidature par mail, votre CV est décortiqué par un robot (dans 50% des cas) et votre lettre de motivation survolée en diagonale par le recruteur (pendant 30 secondes en moyenne) puis quelques semaines d’attente plus tard, vous avez la chance d’être convoqué(e) pour un entretien d’embauche. C’est maintenant que les choses sérieuses commencent car vous jouez votre avenir professionnel. Mais dans cet entretien, ce face-à-face qui peut être vécu comme un échange, une confrontation, un rapport de forces, une épreuve, quelle est la part d’objectivité ? N’est-il pas en fin de compte un jeu où chacun porte un masque ?

Un entretien « conventionnel » :

Un entretien c’est avant tout répondre aux questions traditionnelles dont la première est invariablement : « Pouvez-vous nous décrire votre parcours ? » ou « Parlez-nous un peu de vous. » Le candidat doit aussi très souvent répondre à : « Pourquoi je vous choisirais vous plutôt qu’un autre ? » ou bien « Quelles sont vos qualités ? et vos défauts ? » ou parfois « Où vous voyez-vous dans 5 ans ? »

attente-gpointstudio-fotoliaLes « conventions » entourant cet exercice de style sont si nombreuses, que les articles et ouvrages de « préparation » aux entretiens d’embauche se multiplient. Or, logiquement, le candidat connaissant son parcours et s’étant renseigné sur l’entreprise, il ne devrait rien avoir à « préparer » !

Les conventions ne se limitent pas aux questions, elles concernent aussi : le choix de la tenue (costume, tailleur, jupe ou pantalon, chaussures…), le maquillage, les bijoux (boules d’oreilles, montre,…). Les articles conseillent aussi souvent d’arriver en avance (mais pas trop pour ne pas paraître désespéré), attendre d’être appelé sans paraître stressé (donc en se plongeant dans un ouvrage bien choisi), ne pas hésiter en franchissant le seuil de la pièce, serrer la main des interlocuteurs (la poignée de main est parfois un instant redouté), soigner sa posture (ne pas paraître hautain, fermé, désinvolte…), ne pas parler trop vite, avoir une bonne diction, etc. L’exercice de questions-réponses se corse lorsqu’il faut répondre (ou détourner astucieusement) à des questions indiscrètes sur sa situation personnelle (enfants, conjoint, domicile…) ou faire face à un recruteur qui cherche à vous déstabiliser.

Ensuite vient le moment où le recruteur propose au candidat de poser des questions et là, idem, la littérature indique qu’il faut les préparer, les choisir judicieusement pour paraître suffisamment intéressé et motivé mais non obsédé par le salaire (d’ailleurs, est-il bien vu de parler salaire ? tous les auteurs ne sont pas d’accord…), ambitieux mais pas trop (selon le poste à pouvoir), etc. Il paraît d’ailleurs qu’il faut aussi choisir soigneusement les « loisirs, actions de bénévolat ou activités extra-professionnelles » indiqués sur son CV pour mettre en avant des qualités personnelles en adéquation avec le poste visé.

On ne doit donc pas être étonné de savoir que 26% des candidats (même cadres) mentent sur ce point et sur bien d’autres !

Entre préjugés et impressions, où est l’objectivité ?

L’entretien d’embauche, auquel il est difficile de mettre fin même si d’autres formes ont été expérimentées (serious games notamment), est soumis à un certain nombre de conventions sociales. Mais comme dans tout contact humain, les premiers instants sont cruciaux.

Les études montrent une forte corrélation entre la sympathie qu’éprouve le recruteur pour le candidat et la réussite ou l’échec de ces entretiens. Les critères objectifs et les informations échangées, les véritables indicateurs de la qualité du candidat en question, sont donc laissés de côté. Ce dont le recruteur se rappellera en premier lieu et qui orientera sa décision, c’est l’impression générale que lui aura faite le candidat.

Une étude réalisée par le professeur Franck Bernieri, de l’Université de Tolède, indique qu’on a jamais de seconde chance pour faire une première impression et que la manière de se présenter, la poignée de main et le langage corporel en général sont les facteurs clés de la réussite.
Selon une enquête internationale, menée par le cabinet Robert Half, 20% des recruteurs déclarent qu’il leur suffit de cinq à dix minutes pour se forger une opinion.

Ainsi, votre interlocuteur se forgera 90% de son opinion sur vous durant les 4 premières minutes et 60 à 80% de l’impact que vous produisez passera par votre langage corporel.

Bref, on peut alors s’interroger sur le bien fondé de la durée de certains entretiens qui avoisine 1h30 ou sur les recrutements qui s’échelonnent sur plusieurs entretiens… Voilà pourquoi certaines entreprises optent pour des entretiens « éclair » de 20 minutes.

Alors, faut-il jouer la comédie pour réussir ?

Business-Kzenon-fotoliaMême si on sait que les paroles gagnent en crédibilité lorsqu’elles sont accompagnées d’un regard ou gestuelle appropriée, il est très difficile de contrôler le langage corporel. Les signaux d’ouverture qu’on envoie quand on ment seront presque toujours compromis par des signaux parasites : transpiration, tics faciaux et mouvements de paupières. Voilà pourquoi franchise et honnêteté sont les clés de la réussite d’un entretien. Il faut aussi savoir que les femmes, plus intuitives, détectent plus facilement ces signaux contradictoires… et donc les mensonges !

Bon à savoir : la poignée de main est un signe d’accueil et de confiance (à condition qu’elle ne soit pas molle ou souple) ; le port de lunettes donne une apparence sérieuse, intelligente, conservatrice, éduquée et franche ; un maquillage léger donne aux femmes une image plus assurée ; les regards lancés par-dessus les lunettes sont intimidants (si vous portez des lunettes pour lire, n’oubliez pas de les retirer quand vous vous adressez à votre interlocuteur) ; montrer ses paumes est un geste de franchise, etc.

Un jeu de dupes ?

Lors d’un entretien, le recruteur présente le poste à pourvoir et l’entreprise d’une manière avantageuse tandis que le candidat s’efforce de faire bonne figure, de montrer le meilleur de lui-même et de correspondre le plus possible au profil souhaité par l’entreprise.

Chaque interlocuteur jouant un rôle dans cet exercice « codifié », il n’est pas étonnant que plus d’un tiers des CDI soient rompus avant la fin de la première année (source : étude DARES de 2011). Selon une enquête plus récente de Mark Murphy, Fondateur de l’institut Leadership IQ, au terme d’une année et demie de présence en entreprise, 46% des personnes recrutées se retrouvent en situation d’échec !

A quoi sert l’entretien d’embauche s’il ne permet pas de porter sur les candidats des appréciations fiables et valides ?

Les recruteurs, pris à leur propre jeu, obligés de trouver un plan B ?

Leur jugement étant basé sur des attitudes empruntées, des phrases soigneusement conçues, des contenus étudiés pour provoquer leur sympathie, les recruteurs devront à l’avenir se doter de solides connaissances en psychologie pour déceler le vrai du faux lors des entretiens.

Avec l’essor des réseaux sociaux et des mégadonnées (big data), la technologie est également destinée à prendre une part de plus en plus importante que ce soit dans l’aide à la décision (choix du candidat) ou l’identification de futurs collaborateurs (débauchage).

Même si l’analyse des données à plus vocation à servir de premier filtre qu’à remplacer les décisions des humains, leur utilisation ne va pas sans poser de questions notamment celle des données personnelles. Selon François Geuze le big data est un nouveau moyen de « recruter des clones ». « On recrute sur la productivité passée, alors qu’embaucher, c’est aussi agir dans une logique de prospective, chercher les candidats qui feront bouger l’organisation », juge-t-il.

Mais les recruteurs et employeurs veulent-ils vraiment faire bouger les organisations ? Accepteront-ils de remettre en cause la codification de l’entretien d’embauche et sortir de cette « zone de confort » ? Accueilleront-ils avec bienveillance et répondront-ils avec franchise à toutes les questions que le candidat n’ose pas actuellement poser ?

A mon sens, un entretien basé sur la franchise et un échange portant sur l’aspect concret du poste visant à appréhender la manière d’être du candidat en situation professionnelle devraient permettre de réduire le nombre d’échec de recrutement.

Je vous laisse découvrir cet article où Laszlo Bock, en charge des recrutements chez Google, indique notamment qu’« il faut toujours recruter plus intelligent que soi » et « ne jamais se fier à sa première impression ». Quelques questions intéressantes posées à des candidats sont également citées.

Bibliographie / pour aller plus loin :

  • Pourquoi les hommes se grattent l’oreille et les femmes tournent leur alliance ? Comment le langage du corps révèle vos émotions. Allan et Barbara Pease, France Loisirs, 2005.
  • L’entretien psychologique, Charles Nahoum, PUF, 1958.

8 commentaires sur “Entretien d’embauche : un jeu de dupes ?

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    C’est un peu la même chose aux étapes ultérieures, lorsqu’il s’agit d’évaluer un collaborateur. Une personne vous semble-t-elle sympathique ? Vous aurez tendance à l’affubler de toutes les qualités (professionnelles, bien entendu !), à lui trouver moult compétences, à privilégier un regard bienveillant, voire sélectif et, in fine, à favoriser sa progression dans l’entreprise. L’inverse — les compétences qui provoquent la sympathie — est tout de même plus rare.

    Au final, en travaillant exactement de la même manière, vous pouvez, au fil du temps et au gré des évaluateurs, recueillir toutes sortes d’appréciations contradictoires, allant des plus élogieuses aux plus critiques. Pour ma part, j’ai fini par ne plus y prêter attention et à me référer plutôt à l’avis de mes pairs et aux référentiels de ma profession.

    A ces comédies dont bien peu sont tout à fait dupes, je préfère la libre coopération en vue d’objectifs partagés. Dès lors que chacun peut se contenter d’être soi sans chercher à plaire, ni à déplaire. Mais encore faut-il, dans ce cas, que la sincérité existe chez tous les participants.

    De ce point de vue, avec les entretiens d’embauche, on navigue d’emblée en eaux troubles. Les dès sont pipés. Et pas qu’un peu, entre un candidat souvent confronté à un marché du travail difficile et un recruteur qui doit s’engager à partir de très peu de choses !

    Alors peut-être serait-il préférable d’assumer davantage cette navigation à vue. Ce pari, ce saut dans l’inconnu. Et, partant, d’oublier un peu les codes, les rôles et les manuels dont vous parlez. Avec déjà près d’un recrutement sur deux qui mène à l’échec, les chances de se tromper ne seront pas plus importantes !

    « Thinking outside the box » comme me disait une amie DRH, ex consultante en recrutement.

    Plus facile à dire qu’à faire 🙂

    Quoi qu’il en soit, merci pour vos réflexions stimulantes.

    Aimé par 1 personne

    • « Se contenter d’être soi » et faire du bon travail, c’est ce que j’essaie toujours de faire et « Thinking outside the box » c’est ce vers quoi chacun devrait tendre…
      Je partage votre goût pour la libre coopération et j’avoue éprouver du plaisir et de la satisfaction à collaborer avec des connaissances avec lesquelles je partage des idées et points de vue. La collaboration est toujours beaucoup plus sincère lorsqu’il n’y a rien à attendre en retour 🙂
      Merci pour vos commentaires.

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