Référendum : quand la vision des salariés s’oppose à celle des syndicats.

travailleurs et travailleuses-Jean Gagnon-Wikimédia Commons

Depuis quelques temps, les petites phrases assassines contre les 35 heures fusent de tous bords, de droite comme de gauche. Alors que Jean-Denis Combrexelle affirme dans son rapport que « la partie la plus souple du Code du travail actuel est celle consacrée au temps de travail », le cas Smart a remis sur le tapis la question de manière tonitruante. Mais n’est-ce pas un écran de fumée qui cache une problématique encore plus sérieuse ?

Les salariés peuvent-ils court-circuiter les syndicats ?

La loi Rebsamen a réaffirmé le rôle prépondérant que jouent les délégués syndicaux dans les négociations avec le chef d’entreprise. Cependant, le référendum est de plus en plus utilisé par les dirigeants comme le révèle le Bilan annuel de la négociation collective. En 2014 ce sont 11 400 accords qui ont été ratifiés par référendum, soit 19%.

Manuel Valls estime qu’il faut « donner plus de latitude aux employeurs et aux salariés pour décider eux-mêmes. »

Le référendum n’est pas l’arme absolue… mais il est suffisant pour faire adopter un plan d’intéressement, de participation, de prévoyance ou un régime de retraite complémentaire. Si le référendum peut être utilisé pour mettre en porte-à-faux un syndicat contestataire, il peut aussi servir d’appui aux syndicats pour aboutir à un accord difficile à faire passer.

Dans le cas de Smart, le référendum n’est que consultatif, donc pourquoi l’avoir fait ? « Sans doute parce que personne ne veut porter la responsabilité du résultat » décrypte Bernard Gauriau.

Comprendre le cas Smart.

L’objectif de Smart est de gagner en compétitivité pour « garantir le maintien de l’emploi pour tous les coéquipers de Smart France jusqu’en 2020 ». La direction propose donc de passer de 35 heures hebdomadaires à 39 payées 37, et imposer aux cadres de renoncer à 2 jours de RTT. «Il sagit de travailler 12% en plus, tout en gagnant 6% de plus» résume le DRH, Philippe Steyer. L’entreprise prévoit également le versement d’une prime exceptionnelle de 500€/an pendant deux ans et l’embauche de 50 personnes en CDI d’ici à la fin 2017.

Même si le DRH de Smart déclare que « les salariés n’ont pas le couteau sous la gorge » et qu’il n’y aura pas de plan social si l’accord n’est pas adopté, comment ne pas avoir en tête l’histoire de Général Motors à Strasbourg ?

Après la faillite en 2009, le groupe Général Motors propose de conserver l’unité de production strasbourgeoise à condition de baisser de 10% du coût de la main-d’œuvre. Un référendum est organisé et les 1 150 salariés se prononcent à 70% « pour ». Les syndicats se plient à l’avis des salariés et signent l’accord. Même si l’usine est vendue en 2012, elle ne ferme pas et conserve ses salariés.

vote-pixabayLe référendum est organisé par l’entreprise à la demande de certains syndicats qui souhaitent recueillir l’avis des salariés avant de prendre une décision. Résultats : 61% des ouvriers répondent « non » tandis que 74 % des cadres, employés, techniciens et agents de maîtrise répondent « oui ».

Même si, dans l’ensemble, les salariés ont voté « oui » à 56%, les syndicats doivent se souvenir des « Conti » de Clairoix. Les négociations se poursuivent donc…

Petit rappel des faits : fin 2006, la direction de l’usine Continental de Clairoix (Oise) propose aux salariés de passer aux 40 h/semaine en échange d’une légère augmentation de salaire. La direction organise un référendum qui se solde par le refus des salariés mais les syndicats signent tout de même l’accord. Le site ferme malgré tout en 2010…

Ceux qui affirment que le « oui » chez Smart est net et franc et que les Français ne sont pas attachés aux 35 heures doivent nuancer leurs propos. La fracture entre les différentes catégories de salariés est claire : ce vote n’est-il pas – aussi – significatif de deux visions opposées et de conditions de travail différentes ?

L’arbre qui cache la forêt.

Quand les syndicats ne parviennent pas à s’entendre pour adopter une stratégie commune (dans le cadre du nouveau plan social lancé par Air France, tous les syndicats ont appelé une mobilisation à Roissy pour protester mais trois syndicats seulement ont lancé un appel à la grève), comment doivent réagir les salariés ? Quand les licenciements massifs se multiplient, comment faire confiance aux syndicats supposés être les défenseurs de la sécurité de l’emploi ?

La situation est complexe et l’avenir incertain mais ces exemples posent, à mon sens, une question autrement plus cruciale que celle de la durée du travail. Comment redynamiser le dialogue social (souhaité par la loi Rebsamen) et donner une place prépondérante aux accords collectifs (le rapport Combrexelle doit aboutir à un projet de loi en ce sens) alors que les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’onde que les salariés qu’ils représentent ?

Sur le site Continental de Midi-Pyrénées, les salariés approuvent un plan d’austérité (gel des salaires, suppression de 2 jours de RTT, réduction de l’intéressement) qui doit améliorer la compétitivité alors que les syndicats, représentatifs de 60% des salariés, maintiennent leur opposition et appellent au boycott du référendum.

Les syndicats ont-ils encore les coudées franches pour négocier ? La légitimité des délégués syndicaux n’est-elle pas entamée par les salariés, ceux-là même qui les ont élus ? S’achemine-t-on vers le développement d’une négociation directe entre direction et salariés via les référendums ? S’orienter dans cette direction pose une autre problématique : celle de l’information des salariés et la transparence du dirigeant.

« La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l’exactitude de l’information. Si le citoyen n’est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire. »                            Jean-François Revel

3 commentaires sur “Référendum : quand la vision des salariés s’oppose à celle des syndicats.

  1. Je souhaitais juste revenir sur le cas Smart en Moselle : aucun accord ayant pu être signé avec les syndicats, l’entreprise a fait des avenants aux salariés qui étaient d’accord pour travailler 39h payées 37. « On risquait le chômage, donc on n’a pas trop eu le choix », avance Thierry Drouin. Source : Nouvel Obs, 3 Octobre 2016.

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  2. Bonjour
    Merci pour vos articles toujours très intéressants mais je me permets une remarque concernant la société Smart.
    La question posée au référendum ne donnait aucune possibilité aux salariés de refuser les propositions.
    On était très loin du dialogue social et plus proche du couteau sous la gorge. La loi El Khomri va dans le même sens.

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    • Bonjour,

      Les salariés seront toujours enclins à faire des concessions pour garder leur travail, ce qui est compréhensible. Un tel vote se réalise donc souvent dans une situation déséquilibrée… qui – en plus – n’aboutit pas forcément à la pérennité de l’entreprise (d’où l’exemple des Conti de Clairoix et le mécontentement des salariés qui peuvent se sentir floués).
      J’aborderais peut être la question du référendum dans un article lorsque la loi El Khomri sera en vigueur.

      Merci de me lire.
      Cordialement,

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