Référendum en entreprise : le pouvoir aux salariés ?

vote-pixabayAlors que Manuel Valls a eu recours pour la troisième fois à l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter une loi (Michel Rocard, son « mentor », l’a utilisé 28 fois entre 1988 et 1991), il est intéressant de se pencher sur l’utilisation du référendum en entreprise. Plusieurs entreprises y ont déjà eu recours à titre consultatif dans le cadre de négociations tendues avec les partenaires sociaux (ex : Smart) et la loi dite « travail »  ou « El Khomri » vise à élargir son utilisation. Mais le référendum va-t-il permettre aux salariés de participer plus amplement à la gestion de l’entreprise ? Rien est moins sûr…

Le référendum en entreprise :

En entreprise, à défaut de délégués syndicaux, de représentants du personnel avec lesquels négocier, en cas de PV de carence à l’issue des élections ou si la négociation n’aboutit pas, le chef d’entreprise peut recourir au référendum dans un certain nombre de cas : approbation d’accords d’entreprises (art. L 2232-14 et L 2232-24 du Code du travail), plan d’intéressement (art. L3312-5 et L3322-7) et de participation (art. L3322-6 et L3332-4), plan d’épargne salariale (art. L 3332-4), complémentaire santé, prévoyance ou retraite sur-complémentaire (art. L 911-1). La mise en place d’horaires individualisés est possible après accord de l’inspection du travail et du personnel (art. L 212-4-1 du Code du travail). A cela s’ajoute depuis la loi Macron, le travail du dimanche dans les zones touristiques et commerciales (art. L 3132-25-3 du Code du travail). Dans tous les autres cas, le référendum n’est que consultatif.

Pour l’organisation de ces référendums, c’est le droit électoral qui s’applique. En fonction des sujets, l’accord de la majorité ou des 2/3 des « travailleurs intéressés » est requis. La Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 15 novembre 2011 n°10-20.891, que par « intéressés » il faut entendre « électeurs inscrits » (et non les suffrages exprimés). En cas de contestation du résultat, il faut saisir le Tribunal d’Instance.

En ce sens, on peut dire que le référendum offre la possibilité aux salariés de s’exprimer, de choisir et in fine de participer à la prise de décision. Le malaise actuel réside dans le fait que le référendum est organisé dans un contexte économique difficile où l’avenir de l’entreprise (et donc des emplois) est en jeu. Les salariés sont invités à se prononcer sur la réduction de certains de leurs acquis afin de sauvegarder l’activité économique : d’où le « chantage à l’emploi » souvent dénoncé.

Que change la loi El Khomri ?

Le gouvernement et le patronat ont constaté des blocages lors des négociations avec les syndicats car les organisations majoritaires ont usé de leur droit d’opposition (art. L 2232-12 du Code du travail) pour empêcher la validation de certains accords (ex : Fnac dans le cadre du recours au travail du dimanche).

vote électronique_md3d_fotoliaLa loi El Khomri (art. 21), supprime le droit d’opposition et prévoit que seul les organisations majoritaires (ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés au premier tour des élections) pourront signer un accord d’entreprise ou d’établissement. Si cette condition n’est pas remplie, et si les organisations signataires n’ont recueilli qu’entre 30% et 50% des suffrages, il sera possible d’organiser un référendum « visant à valider l’accord ». La consultation des salariés pourra être organisée par voie électronique ou selon un protocole conclu entre l’employeur et les organisations syndicales signataires, dans le respect du droit électoral. L’accord sera validé s’il est approuvé par la majorité des suffrages exprimés. A défaut, l’accord n’aura aucune valeur.

Cette mesure permet aux syndicats minoritaires et aux salariés de faire entendre leurs voix… mais elle est aussi accusée de « court-circuiter » les syndicats majoritaires selon le principe de « diviser pour mieux régner ». Alors légitimité des élections professionnelles ou légitimité des salariés : laquelle pèse le plus ? La ministre Myriam El Khomri se défend de « mettre en opposition les salariés et leurs organisations » et précise que le référendum « sera à la main des syndicats, pas des entreprises ». Il a pour vocation de donner à entendre les salariés.

Mais les syndicats ne l’entendent pas de cette oreille : « Si une majorité syndicale s’oppose, le débat est clos ! Et on l’a vu chez Smart, le référendum est le meilleur moyen de monter la moitié des salariés contre l’autre », explique Joseph Thouvenel (CFTC). Pour rappel, les ouvriers étaient majoritairement « contre » l’accord tandis que les cadres avaient voté « pour ».

En revanche, le patronat voit la mesure d’un bon œil puisqu’elle permet de débloquer des situations… et contourner certains syndicats qui refusent de faire des concessions et campent sur leurs positions. François Asselin (CGPME) souhaite même que « le référendum soit un outil de dialogue social qui puisse être utilisé librement ».

Manque d’exemplarité de l’Etat ?

Comme on le sait, la Suisse organise régulièrement des référendums pour consulter ses concitoyens sur des sujets divers et variés (instauration d’un revenu universel, hausse des impôts, de la TVA, exportation de matériel de guerre, non-prescription pour les crimes de pédopornographie, équivalent du PACS, extension du musée de Genève, encadrement des rémunérations des dirigeants, etc). Si le référendum est obligatoire pour entériner certains actes législatifs ou modifier la Constitution, le peuple peut aussi demander l’organisation d’un référendum au niveau national à condition de recueillir 50 000 signatures en 100 jours pour empêcher l’adoption d’une loi contestée. Il s‘agit alors d’un « référendum facultatif », dispositif créé en 1875. Un « droit d’initiative » a été ajouté en 1891 : il permet, via le recueil de 100 000 signatures en 18 mois, de proposer une modification de la Constitution. Au total, le pays a organisé 341 référendums entre 1971 et 2009 et 9 durant la Seconde guerre mondiale ! (en savoir plus).

Jean Nouvel dira, après le refus des Suisses du projet d’extension du musée de Genève: « En Suisse, l’exercice des droits démocratiques est une quasi religion. »

Usages du 49-3Malheureusement, en France, le référendum est très peu usité (contrairement à l’usage du 49-3 qui a toujours eu un franc succès !) et lorsqu’il l’est, l’avis populaire n’est pas toujours suivi… Cela est une autre histoire, mais avouons que si la « démocratie participative » ou « directe » ne parvient pas à percer à l’échelle nationale, elle aura – je pense – très certainement du mal à le faire dans les entreprises. Ceci dit, je ne sais pas si la démocratie directe est très répandue dans les entreprises suisses… mais le modèle social suisse repose sur la culture du consensus. Or, en France, le manque de culture du dialogue est notoire.

Il faut aussi préciser que les référendums d’entreprises ne permettent pas aux salariés de s’exprimer sur le détail des dispositions de l’accord, sa mise en œuvre, l’échéancier. Ces points seront négociés par la suite, par les syndicats. Les salariés donnent donc seulement un « accord de principe ». Par ailleurs, les renonciations à certains acquis sont parfois formalisées par un avenant au contrat de travail. Ce qui remet le salarié face au choix… et ses conséquences.

Ne pas confondre référendum et coopérative :

Comme vous l’aurez deviné, la recrudescence supposée des référendums en entreprises dans les années à venir grâce à la loi El Khomri, ne signifie pas que les salariés seront associés plus étroitement à la gouvernance de l’entreprise.

connexion_freepikPremièrement, l’organisation du référendum est réservée à certaines situations spécifiques et l’initiative appartient aux syndicats. Ensuite, seul les représentants du personnel sont précisément informés sur la situation économique et financière de l’entreprise et peuvent être éclairés par un rapport d’expert. Ils sont soumis à un devoir de confidentialité, même à l’issue de leur mandat. Il est donc difficile pour le chef d’entreprise de dévoiler ces informations sensibles à l’ensemble des salariés… Or, sans information détaillée et claire sur la situation de l’entreprise, difficile de se prononcer objectivement. En outre, le salarié sera souvent tenté de mettre en doute la véracité ou l’exactitude des informations fournies.

« La civilisation démocratique est entièrement fondée sur l’exactitude de l’information. Si le citoyen n’est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire. » Jean-François Revel, in « Entretien avec Pierre Assouline » (1988)

Par ailleurs, le référendum n’est utilisé que lorsque le sujet de négociation porte sur l’emploi (licenciements possibles), les salaires (rémunération des heures supplémentaires, suppression d’une prime, etc) ou le temps de travail (travailler plus à salaire constant par exemple). Aucune entreprise – à ma connaissance – n’a organisé un référendum (même consultatif) pour définir sa stratégie de développement, d’exportation, le déploiement sur de nouveaux marchés, la R&D, le lancement de nouveaux produits, la construction d’un nouveau siège social, etc.

Si vous souhaitez travailler au sein d’une organisation qui fonctionne selon le principe « un homme, une voix » et participer à la définition de sa stratégie, choisissez une coopérative parmi les 2855 existantes en France ! Ainsi, dans une SCOP (ou une SCIC), les salariés sont des associés majoritaires qui possèdent au moins 51% du capital et 65% des droits de vote.

Bibliographie / pour aller plus loin :

A lire aussi sur le blog : Référendum : quand la vision des salariés s’oppose à celle des syndicats.

3 commentaires sur “Référendum en entreprise : le pouvoir aux salariés ?

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    Je lis avec toujours autant de plaisir vos commentaires sur l’actualité « sociale » et « syndicale ».
    Cet article sur cette « grande avancée sociale » (je blague…mais avec amertume) est vraiment très bien pensé.
    QUEL DOMMAGE QUE NOS DIRIGEANTS N’AIENT PAS VOTRE PERTINENCE.
    Bravo.
    Continuez
    Chrystian

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