Travail : ces « petites phrases » qui poussent au départ…

Le monde politique est coutumier des « petites phrases » que l’Académie qualifie de « formule concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits ». Enoncé spécifique à un milieu, la « petite phrase » comporte en outre, une valeur péjorative car l’adjectif « petit » renvoie à la médiocrité, à la « petitesse » de la parole politique et est ainsi très souvent associée à la dégradation de la vie politique. (source) Ces « petites phrases » comportent en outre un potentiel polémique créant parfois des clivages, des « clashes » dont le retentissement dans les médias est aussi fulgurant que fugace. (source) Cependant, l’univers professionnel en cultive également un certain nombre…

« C’est pas la mer à boire.» 

Alors que mon manager et moi échangions sur mes tâches et que je lui faisais part de mon mécontentement car je réalisais de plus en plus de missions qui ne figuraient pas sur ma fiche de poste voilà comment il a justifié le fait qu’il me demande encore de faire une tâche à la place de ma collègue en expliquant que pour moi, faire ça… c’était pas la mer à boire !

Tous les membres de l’équipe avaient été formés à l’utilisation d’une nouvelle base de données mais certains ne maîtrisaient pas bien l’outil, étaient réticents à l’utiliser, avaient peur de se tromper, remettaient au lendemain les extractions à faire, etc. De ce fait, certaines demandes atterrissaient sur mon bureau alors qu’elles auraient dû être traitées par d’autres collègues…

Inutile de vous dire que dans ces conditions, lorsqu’environ 30% de votre poste a changé sans aucune concertation et que certaines tâches de vos collègues vous sont transférées subrepticement, l’ambiance et le travail d’équipe en pâtissent. Les relations finissent par se tendre jusqu’au point de rupture…

« On a toujours fait comme ça.» 

Un grand classique… qui a certainement été entendu par bon nombre d’entre vous ! Mais les personnes qui la prononcent sont-elles conscientes de son caractère démotivant, de son effet repoussoir ? Je travaille toujours dans une optique d’amélioration continue. Pour moi, il est incompréhensible de laisser perdurer un dysfonctionnement, une manière de faire qui n’est pas efficiente ou de ne pas chercher à optimiser une méthode de travail. Mais il s’avère, vu les nombreuses fois où j’ai entendu cette « petite phrase », qu’un grand nombre (de travailleurs et d’organisations) se complait dans cette routine qui est loin d’être optimale. Comment collaborer avec des états d’esprits aussi antinomiques ?

« T’es contre le changement ! »

Voilà ce qu’on m’a retorqué lorsque dans le cadre de la mise en place d’une nouvelle base de données, j’ai fait part de mon analyse en soulevant les problèmes qui risquaient de voir le jour au moment du transfert des données, de l’utilisation et des éventuels développements ultérieurs.

Je peux comprendre que ce ne soit pas plaisant pour un responsable de voir les points faibles et les zones d’ombre d’un projet qu’il porte, pointés du doigts… mais y’a pas à dire, cette remarque était très pertinente vu mon parcours personnel et professionnel ! Pris au dépourvu et sans réponse, cette boutade ressemblait à une tentative désespérée de ne pas perdre la face…  

« La confiance n’empêche pas le contrôle.» 

Alors que ce manager m’avait tenu un discours sur la bienveillance, le management collaboratif, la co-construction et le partenariat durant l’entretien d’embauche, je découvre progressivement qu’il a une haute opinion de lui-même, qu’il ne rate pas une occasion de mettre sa patte sur les rapports que je rédige et qu’il cherche systématiquement à faire valoir sa manière de faire, son opinion… parfois même en interprétant les statistiques et le droit selon ses vues, parfois en remettant en cause l’avis d’un expert juridique.

Quand il devient impossible d’échanger de manière constructive, quand votre manager invisibilise votre participation à un travail collectif, lorsque vous trouvez une opposition dès que vous exprimez un avis divergent, quand votre travail est passé au crible comme si vous étiez une stagiaire inexpérimentée, quand votre N+1 multiplie les « points » de suivi de dossiers et que vous entendez cette petite phrase régulièrement et qu’il vous assène qu’il est dans son droit lorsqu’il vous demande des explications (non pas sue le résultat) mais sur la manière de faire… la collaboration ne peut durer.

Pour moi, ce qui compte c’est l’atteinte de l’objectif dans le respect des contraintes (délais, budget). Contraindre le geste, encadrer le « faire » dans un carcan procédural ou managérial, c’est réduire à néant la marge de manœuvre dans la réalisation du travail. Certains ont du mal à comprendre que l’autonomie est indispensable à l’épanouissement au travail et constitue un facteur de qualité de vie au travail.

« Si vous continuez comme ça, vous allez vous planter.» 

Voici la phrase que j’ai entendue régulièrement pendant une période d’essai… Période d’essai qui commençait sous de mauvais auspices puisque lors de mon arrivée, le jour d’embauche, le responsable de la structure, qui était également mon N+1, m’accueille avec : « Ha ! Vous êtes là ! »

Alors que j’étais debout, un peu gauche et mal à l’aise en me souvenant qu’il avait insisté sur la nécessité que je sois disponible rapidement pour la prise de fonction et en me remémorant mes journées chargées où j’allais au travail puis une fois rentrée chez moi, le soir, je remplissais mes cartons, je faisais des demandes de devis pour mon déménagement et des recherches pour trouver un logement d’atterrissage… Pendant que moi je me démenais, lui n’avait pas trouvé le temps de mettre un bureau et une chaise dans une pièce ni de créer une session sur un ordinateur.

Il part et revient avec un ordinateur portable sous le bras et me dit : « Installes-toi là, la personne est en congé mat’ pour le moment ». Il pose le PC sur le bureau… repart et revient avec un post-it où il a écrit un numéro de téléphone, me dit d’appeler le service informatique pour l’accès au serveur et la création de ma boite mail… et retourne s’enfermer dans son bureau.

Alors que j’essaie de faire un peu de place sur le bureau de ma collègue absente pour m’installer… je reste sans voix. Cela n’augurait rien de bon…

J’étais convoquée tous les mois, dans son bureau, pour faire un point sur le déroulement de la période d’essai. Alors qu’il ne m’avait nullement fourni quelque clé que ce soit pour m’aider à m’approprier les missions du poste ou apprendre à connaître mon nouvel environnement professionnel, je m’entendais dire « si vous continuez comme ça, vous allez vous planter »… idem, parfois pendant certains déplacements que nous faisions ensemble, en voiture. Avouez que cela ne facilite pas la mise en confiance…

« Vous compliquez toujours tout.»

Voilà ce que j’ai entendu de la bouche de ma hiérarchie alors que j’étais en train d’exposer les risques juridiques d’un contrat et que je préconisais, tout comme un organisme extérieur consulté en amont, la mise en place d’un autre type de contrat pour conclure le partenariat… C’est sûr que le droit français n’est pas simple mais je ne fais que le décrypter et tenter de le mettre à la portée des personnes avec lesquelles je suis amenée à travailler pour aider à la prise de décision.

La survenue d’un évènement indésirable n’étant qu’une question de temps et de statistiques lorsqu’aucune précaution n’est prise, il est parfois incompréhensible d’être considérée comme un épouvantail alors qu’on essaie de limiter le risque… C’est le syndrome de Cassandre.

Evidemment, en presque 20 ans de parcours professionnel, il y a eu d’autres « petites phrases »… et toute ressemblance avec des situations existantes dans vos organisation serait fortuite. 😉

Pour conclure, le langage est un sujet sensible. Il faut le manier avec dextérité bien que cela ne soit pas toujours facile sous le coup de l’émotion, dans un climat de tension ou un moment de fatigue. Le mauvais choix de mots peut engendrer bien des maux… Certains mots ont un tel poids que, lancés à toute vitesse, ils vous assomment et vous mettent à terre, tel un uppercut expédié à un adversaire qui a baissé la garde. D’autres, telles des flèches acérées décochées par un archer embusqué, se fichent en plein cœur.

Comme on le sait « ce qui est dit, est dit ». On ne peut pas rattraper les mots et il est parfois difficile d’oublier, de « passer l’éponge ». A n’en pas douter, moi aussi j’ai eu des mots blessants ou durs. Quelques fois, je suis allée m’excuser… Peut-être aurais-je pu (du) faire amende honorable à d’autres occasions.

Le langage est un outil de communication, il devrait permettre de fabriquer le liant d’une équipe et non le ciment qui durcit ou l’étincelle qui fait voler en éclat un collectif ou une relation.

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