Loi sur la gestion de la crise sanitaire et obligation vaccinale pour certaines professions.

Dès le lendemain des annonces du Président de la République, des articles de presse se sont fait l’écho de l’obligation vaccinale à venir pour certaines professions (et du passe sanitaire pour accéder à certains lieux). Je n’aborderai ici que les mesures concernant les travailleurs.

Un projet de loi mené tambour battant…

Le premier paramètre marquant est que l’examen de ce projet de loi a été mené dans la précipitation, sans même consulter le Conseil commun de la fonction publique ni le Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, alors que la saisie de ces organismes est obligatoire pour un projet de loi tel que celui-ci comme l’a rappelé le Conseil d‘Etat.

Le Conseil d‘Etat a indiqué qu’il était regrettable qu’il n’ait que moins d’une semaine pour rendre un avis sur un projet de loi qui « soulève des questions sensibles et pour certaines inédites qui imposent la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires ».

Le Conseil d’Etat a rendu son avis le lundi 19, puis le projet de loi est passé en Conseil des ministres le jour-même pour être étudié par l’Assemblée nationale le 20 juillet à partir de 17h… sachant que plus de 640 amendements ont été déposés. Le projet de loi a ensuite été examiné par le Sénat le 23 juillet. Notons aussi le temps très réduit imparti à la défense de chaque amendement (1 minute) tandis que les débats se sont déroulés toute la nuit avec des votes intervenant vers 5h du matin à l’Assemblée et au Sénat.

Qui dit précipitation dit manque de préparation – et peut être de concertation – sur certains aspects… C’est le cas par exemple de l’entrée en vigueur de l’exigence visant les salariés des restaurants et bars (et autres ERP) qui a été décalée : initialement prévue au 1° août, il a été admis qu’une seule dose pouvait avoir été administrée au 1° août, si le statut vaccinal complet est obtenu au 30 août. Idem pour l’amende pour non-contrôle du passe sanitaire par les employeurs qui a été ramenée de 45 000€ à 1000€ (9 000€ en cas de récidives) et la peine de prison d’un an a aussi été réservée aux récidives.

Une obligation qui cache (mal) son jeu :

L’obligation de passe sanitaire (dépistage virologique négatif d’au plus 72h, statut vaccinal ou certificat de rétablissement suite à une contamination au Covid) concernera, à compter du 30 août, « les personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue.»  

Qui va évaluer « la gravité des risques de contamination » pour imposer le passe sanitaire à certains salariés et pas à d’autres, sachant que nous connaissons encore peu de choses du variant Delta (même si a priori, il semble plus contagieux mais moins virulent) et que nous ignorons tout des variants à venir ? Le sujet aurait mérité un débat avec le CSE et/ou le médecin du travail en lien avec le DUER en vue de définir les postes exposés au risque Covid.

Sont concernés les transports publics de longue distance, les activités de loisirs, les restaurants et débit de boissons, les foires, séminaires et salons professionnels (et, le cas échéant, les grands magasins et centre commerciaux sur arrêté préfectoral).

Si l’objectif est d’éviter d’être contaminé et/ou de contaminer les clients, pourquoi la règle ne s’applique-t-elle pas à tous les établissements du même type ? Ainsi, la restauration collective, les relais routiers et les restaurants ferroviaires sont exclus, ce qui pose question. Le seul détail que je peux identifier est que dans les restaurants d’entreprises, universitaires et cantines, on est servi via une ligne de self et on retire le masque uniquement en arrivant à table.

Le Conseil d’Etat a souligné que l’élargissement du passe sanitaire « doit être justifié par l’intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie […] et non pour un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner. » Il précise que « la simple circonstance, mise en avant par le Gouvernement, selon laquelle cette mesure serait de nature à prévenir à une échéance plus lointaine de restrictions plus strictes ne saurait suffire à elle seule à justifier de la proportionnalité de la mesure. »

Cette obligation entre en vigueur le 30 août. Si le salarié n’est pas en mesure de remplir l’obligation, il peut, avec l’accord de l’employeur, poser des jours de congé ou RTT, sinon son contrat sera suspendu, sans rémunération, jusqu’à que le justificatif requis soit produit.

Si la situation se prolonge pendant 3 jours travaillés, l’employeur convoque le salarié (ou l’agent public) pour examiner « les moyens de régulariser la situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, au sein de l’entreprise sur un poste non soumis à cette obligation.»

Cette possibilité confirme, qu’au sein d’un établissement, certains postes peuvent ne pas être concernés par l’obligation. Dans un musée, qui sera concerné : la personne à l’accueil-caisse-boutique, les surveillants en salle et la personne en charge des visites guidées ? Pourtant, à ces postes, le respect des gestes barrières et la distanciation semblent tout à fait possibles…

Suite à un amendement du Sénat, seul les salariés du secteur privé en CDD et les contrats de mission temporaire peuvent être rompus avant l’échéance du terme (les personnes en CDI et agents publics ne sont plus visés). La procédure de licenciement pour motif personnel sera alors mise en œuvre.

MAJ du 06/08/2021 : Cette disposition a été censurée par le Conseil Constitutionnel car bien qu’ils soient « tous exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus […] le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leur contrat de travail qui est sans lien avec l’objectif poursuivi. »

Une obligation vaccinale visant les personnes travaillant au contact de personnes vulnérables… mais pas que !

L’article 12 de la loi vise « les personnes exerçant leur activité dans » les établissements listés. Cela signifie que non seulement sera concernée la filière soignante mais aussi la filière administrative et technique.

Les médias ont souvent retenu l’obligation vaccinale des soignants hospitaliers (hôpitaux des armées inclus), mais sont aussi concernés « les professionnels paramédicaux, du champ sanitaire et médicosocial, exerçant en établissement ou en libéral, ainsi que les professionnels, étudiants et élèves.» Le texte vise les pompiers, personnels de la sécurité civile, transport sanitaire, transport conventionné avec la CPAM… mais aussi les résidences-services dédiés à l’accueil des personnes âgées ou handicapées (types Sénioriales), les habitats inclusifs (logements-foyers), le personnel intervenant au domicile des bénéficiaires de l’allocation personnalisé d’autonomie (APA) ou la prestation de compensation du handicap… et enfin, le personnel employé à domicile des personnes âgées de plus de 70 ans et des personnes handicapées.

En revanche, l’obligation vaccinale ne concerne pas les résidents, patients des structures ou travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d’un contrat de soutien et d’aide par le travail. Le Conseil d’Etat justifie cette « obligation asymétrique » par le « niveau de couverture vaccinale des personnes plus vulnérables ». Selon ces données en ligne, la couverture vaccinale des résidents en EHPAD était de 89,8% (une dose) et 84,5% (2 doses) au 15 juillet. Il avance également « les conséquences sanitaires et sociales induites par une obligation » : autrement dit, on ne peut décemment pas mettre à la porte une personne âgée et/ou dépendante…

Sont également concernés les services de médecine préventive et de promotion de la santé des étudiants et les services de santé au travail (autonomes et inter-entreprises). Plus étonnamment, figurent aussi sur la liste les prestataires et distributeurs de matériels, y compris les dispositifs médicaux, destinés à favoriser le retour à domicile et l’autonomie des personnes malades ou présentant une incapacité ou un handicap.

Voir liste exhaustive à l’article 12 de la loi. En revanche, sont exclues les « personnes chargées de l’exécution d’une tâche ponctuelle au sein des locaux » par exemple un réparateur/dépanneur.

Pour continuer à exercer, dès le lendemain de la publication de la loi, tous les travailleurs concernés devront présenter un statut vaccinal ou le certificat de rétablissement suite à une infection au Covid ou un certificat médical de contre-indication à la vaccination. Il est précisé que ce certificat médical peut être contrôlé par le médecin conseil de la CPAM… et qu’une procédure sera engagée à l’encontre du médecin qui fera un faux.

A défaut, à compter du lendemain de la publication de la loi et jusqu’au 14 septembre, pour continuer à travailler, ils doivent présenter le résultat négatif d’un examen de dépistage virologique d’au plus 72h. Un amendement du Sénat permet de continuer à exercer entre le 15 septembre et le 15 octobre, si dans un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, au moins une dose a été administrée… sous réserve d’un test virologique négatif.

Lorsque l’employeur constate que l’agent ne peut plus exercer, il l’informe sans délai des conséquences et des moyens de régulariser la situation. A défaut de poser des jours de congés ou repos, le contrat est suspendu sans rémunération.

Là aussi, suite à un amendement du Sénat, il  n’est plus question de rupture de contrat. Pour les agents contractuels en CDD, le contrat prendra fin au terme prévu si ce dernier intervient pendant la période de suspension. Pour les autres, si le professionnel ne peut plus exercer pendant plus de 30 jours, l’employeur ou l’ARS, en informe, le cas échéant, le Conseil de l’Ordre dont il relève.

Le Conseil d’Etat souligne l’importance de consulter le Conseil commun de la fonction publique « de façon à assortir des garanties nécessaires la procédure spéciale de licenciement ainsi prévue, de même que la suspension sans rémunération, qui ne se rattachent pas à des procédures existantes en droit de la fonction publique.» Il invite donc le gouvernement à compléter la rédaction du projet de loi afin de ne pas appliquer ces mesures coercitives qu’aux salariés du privé, ce qui « serait contraire au principe constitutionnel d’égalité.»

Pour tous ces professionnels, l’article 18 prévoit la réparation intégrale des préjudices imputables à la vaccination obligatoire contre la Covid par l’ONIAM.

Mesures communes :

Dans les établissements privés et publics d’au moins 50 salariés, le CSE est informé des mesures mises en place pour contrôler les salariés et rend un avis, au plus tard, un mois après.

Une autorisation d’absence rémunérée permet à tous les salariés, stagiaires et agents publics concernés de se rendre aux RDV de vaccination.

Le Conseil d’Etat rappelle cependant que la loi « crée un cadre juridique dérogatoire aux dispositions de droit commun régissant les activités professionnelles. » Il estime donc « nécessaire de réévaluer ce cadre juridique en fonction de l’évolution de la situation sanitaire » et recommande une entrée en vigueur des mesures « qu’à l’expiration d’un délai adéquat permettant aux personnes concernées de recevoir le nombre de doses requises. »

L’employeur qui ne contrôle pas le respect de l’obligation visant ses travailleurs risque également une sanction : mise en demeure puis fermeture administrative de 7 jours maximum pour un ERP et quant aux établissements médicaux et médico-sociaux visés au I de l’art.12, ils encourent une contravention de 5° classe (ou procédure d’amende forfaitaire). La sanction passe à un an de prison et 9000€ d’amende en cas de récidives pour tous les établissements.

Des précisions attendues par décret :

Il s’agit notamment, sur avis de la HAS, des schémas vaccinaux et le nombre de doses pour le personne visé par l’article 12 ainsi que des dérogations ou aménagements pour les personnes qui justifient d’une contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination ; sur avis de la CNIL, des modalités de contrôle et habilitation des services autorisés à contrôler ; des conditions d’acceptation de justificatifs de vaccination établis par des organismes étrangers ; des éléments permettant d’établir le résultat d’un examen de dépistage négatif, le justificatif de statut vaccinal ou le certificat de rétablissement ; de la manière dont seront calculées les IJSS et les prestations en espèces si elles ne sont pas subordonnées à un revenu d’activité minimum.

Après la décision du Conseil Constitutionnel, la loi a été publiée au JO et est disponible : lien

Le décret précisant notamment la durée de validité du test (72h) et la liste des contre-indications est publié : lien

MAJ 09/08/2021 : L’avis de la CNIL est publié : lien

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